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L’invention du ski transforme la montagne alpine
Le ski alpin apparaît à la fin du XIXe siècle : en 1878, l’alpiniste Henry Duhamel se lance dans la descente des pentes du Recoin de Chamrousse, grâce à une paire de skis acquise à l’exposition internationale de Paris. Les pionniers multiplient les « premières à ski » (le Mont-Guillaume en 1897, la Croix de Chamrousse en 1898…). Les clubs d’alpinistes développent l’apprentissage du ski également considéré comme un moyen de déplacement « utile » à la défense de la nation. En 1903, l’armée ouvre une « école normale de ski » à Briançon. En février 1907, le premier concours international de ski est organisé par le Club alpin français, au col du Mont-Genèvre. L’année suivante les épreuves de Chamonix privilégient les sports de glace (patinage, ski nordique, bobsleigh, saut).
Apparition des téléphériques, téléskis et télésièges
Le ski de descente naît avec les appareils permettant la montée artificielle de la pente. Le « ski sportif » cède la place au « ski artificiel » avec les téléphériques pour skieurs : Rochebrune à Megève en 1933, Le Pléney à Morzine et le Mont-d’Arbois à Megève en 1934, puis Bellevue aux Houches, le Mont-d’Arbois à Saint-Gervais en 1936, Auron en 1937, Serre-Chevalier en 1938. Un projet de 1936 prévoit de relier Tignes à l’Aiguille Percée. À Val d’Isère, la construction du téléphérique de Solaise est engagée en 1938.
Puis vient l’invention du téléski, succès technique et commercial, illustré en France par la réussite des établissements Pomagalski ou Montaz-Mautino, devenus les premiers constructeurs mondiaux de remontées mécaniques. Le télésiège arrive des États-Unis en Europe après la seconde guerre mondiale. Le grenoblois Pierre Mancini construit la première télécabine en 1952 à Villard-de-Lans. Dans les années 1980, les systèmes pulsés type DMC, conçus par l’ingénieur grenoblois Denys Creissels, ouvrent la voie à des appareils à cabines débrayables de très grande puissance, comparables à des transports urbains en site propre, tel l’ "aéroski" de Tovière (Tignes-le-Lac - Val d’Isère, en 1984-1985) dont les gares ont été profilées par le designer Yves de Préval.
^ La Croix de Chamrousse (2253 m) vers 1914^ La Croix de Chamrousse (2253 m) aujourd'hui (décembre 2011)La montagne transformée par la villégiature
Les manières d’habiter l’espace montagnard ont été profondément modifiées entre l’apogée de la société agro-pastorale du XIXe siècle, et la réalisation des grandes infrastructures touristiques à la fin du XXe, répondant aux enjeux de la concurrence internationale.
La nature est domestiquée
Depuis l’invention de la montagne par les peintres et les écrivains au temps des Lumières, les sommets représentent pour les citadins un « ailleurs » propice à l’imaginaire. La période romantique les voyait comme un lieu de nature préservée qui s’opposait à la civilisation urbaine corrompue, glorifiant une nature sauvage aux paysages grandioses et inhabités.
Puis, la fin du XIXe a pensé la montagne comme un espace délaissé par la civilisation, mettant l’accent sur la misère matérielle et morale des populations auxquelles étaient confrontées les élites citadines. En lien avec le développement de la société industrielle, la montagne devient alors un lieu de nature à domestiquer, à « civiliser », comme en témoignent les premiers aménagements de l’espace alpin. Les grands chantiers de génie civil liés à l’exploitation de la houille blanche, l’expansion du chemin de fer et des infrastructures routières, la maîtrise du transport de l’électricité vont susciter l’implantation de nouvelles industries dans les vallées, drainant des populations de plus en plus nombreuses au fil du siècle.Petites villes de montagne
Nombre de bourgs de montagne connaissent alors une forte expansion. Les trains emportent les citadins loin des centres urbains de la plaine. Palaces, hôtels et villas aux silhouettes imposantes s’implantent à l’intérieur ou en limite des villages. Ils en modifient l’activité économique et la physionomie, les transformant en petites villes de montagne. Dans le même temps, le goût pour les qualités curatives des eaux naturelles renaît. Médecins et financiers bâtissent à l’endroit même de la source des cités nouvelles vouées aux soins et à la découverte de la montagne. Leur architecture éclectique adopte des modèles urbains et mêle des compositions classiques à des choix pittoresques aux influences croisées. En quelques années, la construction des stations thermales transforme en cités des sites naturels autrefois délaissés.
^ Station de Val'Thorens, hiver 2011/2012Des créations de stations ex nihilo
La révolution urbaine majeure en montagne est sans conteste liée à l’essor des sports d’hiver. Dès les années vingt, de gros villages, au cœur de vallées ensoleillées, tel Megève, se transforment en stations de ski et en petites villes fréquentées par des citadins aisés. Puis les hommes partent à la conquête de l’or blanc. Ils s’établissent sur d’anciens territoires d’estive, transformant d’immenses pâturages en vastes champs de neige. Un tracé en entonnoir fait converger les pistes de ski en un même lieu, la “grenouillère”, d’où partent les remontées mécaniques. C’est là que naissent les lieux de résidence hivernale de ces nouvelles cités des neiges.
De nouveaux concepts de stations alpines
Après la seconde guerre mondiale, le mouvement s’amplifie. En 1946, les architectes urbanistes L. Chappis et D. Pradelle imaginent Courchevel 1850 comme un “village alpin” d’un genre nouveau. Suivra en 1960 le “Plan neige”, doctrine française d’aménagement de la montagne : maîtrise foncière, priorité au ski alpin, domaine skiable orienté au nord, résidences construites sur les plateaux ensoleillés, parti d’urbanisme compact et fonctionnel séparant les skieurs des voitures, en sont les principes directeurs. Dans les années soixante, 10 000 lits touristiques sont réalisés chaque saison. La “station intégrée” est alors un “prototype de développement urbain”. Les réalisations sont de véritables laboratoires de recherche, qu’il s’agisse des modes d’implantation, des formes architecturales, des techniques et matériaux de construction ou de l’agencement des logements. L’urbanisme rationnel concentre les bâtiments réunis autour des “grenouillères” et propose le principe de la “station sans voiture” adapté à des cités de plusieurs milliers de personnes, comme aux Arcs, Avoriaz ou Flaine. Au cours des trente glorieuses, s’invente, dans les montagnes françaises, un échantillon de “ville nature” organisées autour de l’accueil de millions de skieurs avides de “montées aériennes” et de “descentes glissées”. Les concepteurs, en relevant le défi de créer des hébergements adaptés tout à la fois aux contraintes extrêmes et à l’activité spécifique du ski, annoncent un nouvel art d’habiter la montagne.
^ Chamrousse, le Recoin en 1952Pour aller plus loin :
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