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Article : Alpages et avalanche
La déprise agricole en régions de montagne, déjà bien établie dans certains secteurs, pose plusieurs problèmes. Il en est un au moins qui doit interpeller les professionnels de la neige : l'abandon des pratiques pastorales en altitude a une incidence claire sur l'activité avalancheuse.
Chacun sait la valeur et l'impact de la pratique agricole sur l'aménagement des espaces naturels et reconnaît que l'entretien
régulier produit des paysages de qualité. Il assure aussi une plus grande sécurité face aux risques d'avalanches.
Prenons quelques exemples concrets :
Qui dit déprise, dit friches. Les pentes autrefois bien fauchées (les paysans autrichiens s'encordaient pour traiter certains prés très pentus), ou broutées régulièrement par les troupeaux (bovins ou ovins selon les sites) sont maintenant couvertes par de longs chaumes. Ces grandes herbes sèches, couchées par les premières neiges, deviennent d'excellents plans de glissement pour des départs de plaques. Et il est vrai que, toutes proportions gardées, l'herbe rase pâturée retient mieux la neige au sol, au même titre qu'un paillasson offre une résistance à la semelle.
En circulant à flancs de montagne durant l'été, les troupeaux créent naturellement des "terrassettes" qui forment un réseau de banquettes étroites sur les versants, semblables à une série de courbes de niveau qui strient la pente en une multitude de paliers.
Ces banquettes ont la capacité de rendre les pentes plus rugueuses, moins rectilignes, donc de contribuer à mieux fixer la neige. On a cherché à reconstituer ce mécanisme en creusant à la pioche des banquettes ; cela entraîne d'autres problèmes comme celui de l'érosion des sols. En effet, les troupeaux ont la capacité, par leur passage répété, d'enfoncer sur place la pelouse alpine, qui subsiste, au lieu d'être ouverte et fragilisée.
En cas d'abandon de l'alpage, la végétation arbustive du type aulnes (vernes, arcosses, varosses,...) tend à se développer
rapidement et plus facilement, surtout à ces altitudes, que des conifères ! Tant que l'alpage est fréquenté, ces arbustes sont
coupés et ont plusieurs destinations pratiques à une altitude où le bois est rare. Quelques années d'arrêt de l'activité pastorale suffisent à la prolifération de ces zones arbustives qui génèrent des secteurs d'instabilité. Outre les effets mécaniques qu'on leur prête (les arbustes se courbent, s'effondrent sous le poids de la neige, se libérant brusquement comme des ressorts au printemps), notons surtout que leur présence empêche un bon tassement de la neige sur le sol et favorise ainsi la métamorphose de moyen à fort gradient, par la présence d'air circulant à la base du manteau nival.
Sur un alpage exploité, les hommes aménagent les sources et les points d'eau, entretiennent les canaux d'irrigation, drainent constamment les zones humides. Si cet entretien disparaît, l'eau divague et s'étend sur les pentes. En gelant à l'automne, elle forme des nappes de glace où la neige adhérera mal; Mais surtout, la présence d'humidité ("mouillères") favorisera ici encore la métamorphose de gradient.
Ces quelques exemples montrent la corrélation claire entre l'absence d'entretien en alpage et ses conséquences directes sur la mécanique de la neige (et des avalanches).
Situés à l'étage subalpin, ces territoires exploités depuis des siècles comme alpages correspondent bien aux véritables zones de départ potentielles d'avalanches.
Souvent vastes, couverts de neige plus de 8 mois par an, moins soumis aux aléas climatiques que les secteurs situés à moins de 1600 - 1800 m, ils reçoivent des hauteurs de neige cumulées importantes chaque hiver.
Accrues par les mécanismes décrits précédemment, les avalanches partent de plus en plus haut, et parfois plus largement
qu'auparavant. Elles attaquent ainsi les zones forestières situées en aval, en y ouvrant de larges saignées de plus en plus importantes. A terme, les villages situés en dessous de la forêt qui ne jouera plus son rôle protecteur, sont menacés par de puissantes avalanches.
Ainsi la déprise en altitude peut, un jour, se payer beaucoup plus bas en aval. Phénomène bien compris depuis longtemps en Suisse, où l'on préserve le patrimoine forestier, considérant qu'il s'agit là d'un excellent paravalanche à grande échelle.
Richard LAMBERT - Expert en nivologie
Article paru dans la revue Pistes Infos déc. 1997